12 janvier 2000! Cela fait 21 ans jour pour jour que le film Princesse Mononoke est sorti dans les salles obscures françaises. En  moins de 20 ans, ce film de Miyazaki, pourtant l’un des plus sombres, a acquis un statut d'œuvre culte qui n’est en rien usurpé car deux décennies plus tard, il trouve toujours une résonance chez celui qui le regarde.
A mi-chemin entre le conte folklorique japonais et le gidai-geki (épopée historique), Princesse Mononoke aborde plusieurs thématiques très actuelles sans aucun manichéisme tels notre rapport à la nature ou encore le féminisme et le lien social. 

  Ashitaka, jeune prince courageux d’un village emishi, abat un démon qui menaçait son village. Mais, maudit à son tour, il quitte les siens pour trouver le légendaire dieu Cerf qui seul peut le soigner. Il traverse alors des paysages et des villages inconnus, fait de nombreuses rencontres, bonnes comme mauvaises, avant d’arriver aux forges de Tatara, un village fortifié régi par la belle et résolue Dame Eboshi. Il se retrouve alors emporté dans une lutte de clans impitoyable entre les humains et les habitants de la forêt menés par San, la Princesse Mononoke, une jeune humaine élevée par les loups.

Je me souviens très bien du jour où j’ai vu pour la première fois Princesse Mononoke, qui est également mon premier Ghibli. J’avais 12 ans et, avec ma mère, nous avions traversé toute la capitale pour le voir dans un petit cinéma. A ma grande surprise, nous n’étions que quatre spectatrices dans la salle, deux mères et leur fille. A la fin de la projection, j’étais stupéfaite, j'avais reçu un véritable choc esthétique. Habituée aux Disney, je venais d’avoir une révélation qui depuis ne m’a plus quittée. Les films d’animation permettent d’aborder certains sujets difficiles aussi bien, voire mieux, que certains films live, car le spectateur est détaché du jeu d’acteurs et de l’illusion de la réalité que procure ce type de film. Des années plus tard, j’ai développé une véritable sensibilité aux sujets traités dans le film.

La Nature contre le social

Dans Princesse Mononoke, ce ne sont pas les bons contre les méchants mais bien l’affrontement de deux points de vues et de deux nécessités vitales. D’un côté, la forêt du Dieu Cerf, lieu primordial où vivent les esprits et les animaux défendus par San, la déesse louve Moro et les dieux sangliers. De l’autre, la petite cité métallurgique de Tatara, fondée par Dame Eboshi pour accueillir les laissés pour compte et les marginaux. San, la princesse des esprits et Dame Eboshi, la meneuse des humains s’affrontent dans une lutte sans merci.

Car si Dame Eboshi détruit la forêt et participe à la chasse au dieu Cerf, ce n’est pas par plaisir, mais bien pour sa communauté. Cette ancienne concubine de l’empereur  au passé tragique a été évincée pour une raison non mentionnée et a fondé sur des terres éloignées une petite communauté où les lépreux et les vagabonds peuvent retrouver un toit, du travail, la sécurité et de la nourriture, en un mot retrouver leur honneur. De même, Dame Eboshi rachète régulièrement des prostituées aux maisons closes et leur offre travail, protection et liberté. Rappelons que, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les femmes prostituées étaient vendues à un très jeune âge à ces lieux, qu’elles n’y avaient aucune liberté d’action ou même d’allées et venues, et qu’à part les courtisanes de haut rang, les Oiran, elles n’avaient aucune reconnaissance, ne recevaient qu’une éducation sommaire et étaient méprisées par le reste de la population.

Si la vie est rude à Tatara, chacun y est libre et considéré comme un humain à part entière, quel que soit son passé ou son état de santé. Mais, pour continuer à faire vivre cette cité utopique basée sur l’égalité, il faut produire du fer, très recherché à l’époque Muromashi (1336 et 1573) où se déroule l’intrigue. Il faut donc extraire du minerai de la montagne et abattre des arbres pour les forges. De plus Assano, le seigneur de ces terres, voyant venir la prospérité des lieux, souhaite prendre la cité et n’hésite pas à envoyer son armée mener un siège. Tous les habitants de Tatara prennent alors les armes pour défendre leur foyer. Rapporter la tête du dieu Cerf serait pour Dame Eboshi l’assurance d’obtenir les bonnes grâces de l'empereur et donc sa protection pour son peuple. Ici, ce sont les aspects sociaux qui sont évoqués avec une remarquable justesse.

En face, les animaux et les esprits voient avec horreur l'avancée des humains qui détruisent et pillent tout sur leur passage. Lors d’une discussion entre Moro et Okkoto les deux divinités animales chargées de la défense de la forêt, Okkoto, le dieu sanglier, déplore la dégénérescence de son espèce “toujours plus petite et plus stupide”, signe que la fin de l’époque des dieux est proche. Mais, malgré ce constat amer, chacun veut continuer la lutte pour défendre sa chère forêt et son peuple. San, l’humaine élevée par les loups, est totalement acquise à la cause de la forêt et se bat de toutes ses forces, bien décidée à tuer Dame Eboshi.

Pourtant San, qui est à la fois louve et humaine, ne sert pas de médiatrice entre les deux factions. Ce rôle revient au jeune prince maudit Ashitaka, issu du peuple emishi réputé vivre en harmonie avec la nature, loin de l’influence de l'empereur et de ses vassaux. Ashitaka comprend les points de vues et les nécessités qui poussent les deux belles à agir de manière aussi extrême. Lui recherche l’harmonie entre les deux, il souhaite voir la forêt enchanteresse continuer de vivre mais admire également la démarche de Dame Eboshi de fonder une société égalitaire.

Naissance du mal

Autre point fondamental dans cette œuvre où personne n’est irréprochable, l’on constate que les démons ne sont rien d’autre que d’anciens dieux. Que chacun porte en lui le germe du mal et de la destruction aveugle et qu’il prend le dessus quand la peur, la douleur et l’amertume dominent l’esprit. Là encore, ce sont les paroles de la sage Moro qui éclairent le spectateur quand elle annonce à Okkoto que malgré la mal qui la ronge et lui déchire les entrailles (une balle d’arquebuse en fer) elle contemple sa mort avec sérénité. Une sérénité, un calme et une sagesse que les dieux sangliers Okkoto et Nago n’ont pas réussi à conserver, basculant du côté obscur.

C’est une véritable leçon de philosophie que le film Princesse Mononoke offre à ses spectateurs, mais également une réflexion sur la tolérance et la place des humains face à la Nature. Il pousse chacun au respect et à l’humilité face à elle mais imprègne également de questionnements sociétaux sur l’intégration des marginaux, les peurs face aux maladies, la légitimité de la violence des puissants. Princesse Mononoke aborde autant de sujets primordiaux et plus que jamais d’actualité quand les crises sociales, identitaires et écologiques se succèdent et que la réponse légale est soit trop lente, soit répressive et c’est ce qui fait que chacun, quel que soit son âge, y trouve un intérêt.

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