Entre les travaux de rénovation et de mises aux normes de l’accessibilité et surtout la pandémie de Covid-19 débutée en 2020, nous n’avons pas eu l’occasion de profiter suffisamment du Musée de Cluny– musée national du Moyen Âge. Aussi, je vous propose de découvrir les 14 magnifiques acquisitions de cette année avant d’aller les voir en vrai dès la réouverture du Musée en 2022.

Enfant Jésus bénissant Malines Vers 1500 Bois polychromé Musée de Cluny, Cl. 23936 ©Katatsumuri No yume Acquis avec le soutien de la Fondation La Mark, sous l’égide de la Fondation de Luxembourg

Dès le début de l’année 2020, un « Enfant Jésus bénissant » en bois polychrome réalisé vers 1500 a rejoint le musée (Cl. 23936) avec le soutien de la Fondation La Marck, sous l’égide de la Fondation de Luxembourg. Support de méditation et de prière, cette sculpture est représentative des pratiques de dévotion moderne qui se développent à la fin du Moyen Âge.Le corps potelé marqué de plis et de fossettes, le visage poupin, les boucles en croissant... Le style ne laisse pas de doute sur son origine malinoise. À la fin du 15e siècle, la ville de Malines, dont les armes sont  visibles  sur  la  marque  de  garantie  du  bois,  devient  un  centre  de  production  important  pour  ce  type de statuettes. Cette pièce en est un exemple précoce alors que le musée de Cluny conserve déjà quatre statuettes de saints et de la Vierge un peu plus tardives. Il a été présenté lors de l’exposition La Vie quotidienne au Moyen Âge.

Feuillet enluminé amiénois provenant du livre d’heures dit du Maître Collins Vers 1450 Miniature sur vélin Musée de Cluny, Cl. 23945 © Dominique Langlois

Autre fait marquant de l’année 2020, un feuillet enluminé sur vélin a été acheté en vente publique le 11 octobre 2020 (Cl. 23945). Provenant du livre d’heures dit du Maître Collins (conservé à Philadelphie, Museum of art), ce feuillet de grande qualité représente une femme agenouillée près d’un autel et qui est  peut-être  la  commanditaire  de  l’ouvrage.  Le  traitement  des  marges  atteste  l’origine  du  feuillet.  Comme  sur  les  autres  enluminures  du  livre  d’heures  dit  du  Maître  Collins,  le  décor  de  bordures  fait  écho à la scène principale. La découpe du feuillet et sa mise sous cadre eurent lieu avant 1575. L’acquisition  de  cette  œuvre  permet  au  musée  de  Cluny  d’illustrer  ce  moment  particulièrement  intéressant de l’enluminure amiénoise dans les années 1440 – 1450. Elle fait également entrer cette production – jusque-là conservée uniquement à l’étranger – dans les collections publiques françaises.

Les « Heures à l’usage de Rome » : L’homme zodiacal ou anatomique par Philippe Pigouchet, imprimeur par Simon Vostre, libraire Paris 22 août 1498 Ouvrage imprimé sur vélin Musée de Cluny, Cl. 23940 © musée de Cluny - musée national du Moyen Âge

Un peu plus tardif, un livre imprimé sur vélin a été acquis en juillet 2020. Les « Heures à l’usage de Rome » (Cl.  23940)  sont  un  des  grands  succès  des  librairies  parisiennes  de  la  fin  du  15e  siècle.  Cette  édition  du  22  août  1498,  imprimée  par  Philippe  Pigouchet  pour  le  libraire  Simon  Vostre,  est  particulièrement  intéressante.  Elle  est  agrémentée  de  22  gravures  sur  cuivre  dont  le  programme  a  été  confié  à  Jean  d’Ypres  (actif  vers  1490  –  mort  avant  1508),  l’auteur  des  cartons  des  tapisseries  de  la  Dame  à  la  licorne  conservées  au  musée  de  Cluny.  Elle  vient  enrichir  au  musée  le  corpus  d’illustrations  que  cet  artiste  a  produit  pour  le  livre  imprimé,  représenté  avec  un  livre  d’heures  imprimé  pour  Thielman  Kerver, un concurrent de Simon Vostre, qui commanda à Jean d’Ypres une série très proche des mêmes gravures, acquis par le musée en 2012 (Cl. 23841). Deux  illustrations  méritent  une  attention  particulière  :  une  figure  représentant  l’homme  zodiacal  ou  anatomique, qui établit une analogie entre le corps humain et le cosmos et une image de Bethsabée au bain placée sur une double page face à La mort d’Urie, qui rappelle le goût du public pour les récits mythiques.

Chasuble comprenant deux orfrois : saint Nicolas et un autre saint France 2e moitié du 15e siècle Musée de Cluny, Cl. 23942 © Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge / Daniel et Josiane Fruman

Les  collections  textiles  du  musée  de  Cluny  se  sont  également  enrichies  de  huit  pièces  brodées  provenant  de  vêtements  liturgiques  et  datées  du  15e  siècle.  Trois  fragments  brodés  d’origine  flamande  pourraient  provenir  d’une  croix  de  chasuble  en  forme  de  Y  (Cl.  23943-1,  Cl.  23943-2,  Cl. 23943-3). Ils ont été achetés de gré à gré, tout comme trois ornements d’une dalmatique (Cl. 23944-1, Cl. 23944-2, Cl. 23944-3) d’origine espagnole ou italienne.

Fragment brodé : La Cène Flandre Vers 1480 Musée de Cluny, Cl. 23943-1 © Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge / Christine Descatoire
Panneau de dalmatique : poignet Espagne ou Italie Fin du 15e siècle Musée de Cluny, Cl. 23941-2 © Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge

Ces panneaux, entourés d’un large galon en relief aux motifs stylisés, sont brodés en or nué, une technique raffinée qui consiste à recouvrir partiellement les filés or de soies colorées pour créer le dessin ou les nuances.Si le musée de Cluny possède une très belle collection de broderies comme l’on a pu le voir dans la très belle exposition L’Art en broderie, il ne conservait jusqu’alors aucune pièce espagnole. La lacune est aujourd’hui comblée grâce à deux dons de Josiane et Daniel Fruman.

Bande d’orfroi brodée présentant trois saints (saint Pierre, saint Philippe, saint Thomas ou saint Matthias) Espagne 1ère moitié du 15e siècle Musée de Cluny, Cl. 23941 © musée de Cluny - musée national du Moyen Âge / Daniel et Josiane Fruman

Une  bande  d’orfroi  représentant  trois  saints  superposés  (Cl.  23941)  témoigne  de  la  production  de  la  péninsule  de  la  1ère  moitié  du  15e  siècle.  Elle  ornait  sans  doute  une  chasuble.  La  dernière  pièce  est  justement une chasuble, datée de la 2e moitié du 15e siècle et ornée de deux bandes d’orfroi (Cl. 23942).

Intérieur du palais des Thermes par Victor-Jean Nicolle (1754–1826) Vers 1820 Aquarelle sur papier vergé Musée de Cluny, Cl. 23937 © Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge / Michel Huynh

Grâce à la générosité de la société des Amis du musée de Cluny, les collections relatives à l’histoire du  site  des  thermes  gallo-romains,  dans  lequel  est  implanté  le  musée,  s’agrandissent.  La  société  s’est portée acquéreur en vente publique pour le musée d’un « Intérieur du palais des thermes, seul monument  romain  à  Paris,  rue  de  la  Harpe  »  de  Jean-Victor  Nicolle  (Cl.  23937).  Cette  aquarelle  sur  papier figure l’intérieur du frigidarium des thermes au tournant des années 1820. Il s’agit d’un état historique peu documenté, ce qui rend le dessin de Nicolle, un artiste rompu aux vues d’architecture, particulièrement précieux.

Chapiteau d’ébrasement de portail : «La Délivrance de Saint Pierre» 3e quart du 12e siècle Calcaire Musée de Cluny, Cl. 23939 © Salle des ventes Piasa

Deux dons d’un grand intérêt ont enfin permis au musée de rassembler deux chapiteaux d’ébrasement de portail. Le premier, figurant le « Don des clefs à saint Pierre » (Cl. 23938), provient de la collection personnelle d’Eliane Vergnolle. Le second présente des caractéristiques proches, notamment un pan supérieur creusé pour le transformer peut-être en bénitier. Il est consacré au thème de la « Délivrance de saint Pierre » (Cl. 23939). Repéré sur le marché comme pouvant provenir du même site que le chapiteau précédent grâce au concours de Laurence Fligny, il est acquis par Christian Giacomotto, qui en a ensuite fait don au musée de Cluny. On ne connaît pas la provenance de ces chapiteaux romans, mais le programme autour de saint Pierre pourrait les associer à un site clunisien.

La qualité des œuvres acquises cette année et leur nombre montre le dynamisme du Musée de Cluny dont la variété des collections reflète toute la complexité et la virtuosité présentes au Moyen Âge. Ce sera un véritable plaisir de retrouver une  partie  de  ces  œuvres  récemment  acquises  exposée  dans  les  collections  permanentes  du  musée dès sa réouverture en  2022, suite aux longs travaux de mise aux normes et la création d’un nouveau bâtiment.  D’autres  seront présentées  au  public  lors  d’une  présentation  des  dernières acquisitions du musée.

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