Qu'est ce que l'art ? Une question en apparence simple. Certains diront c'est un moyen d'expression, d'autres diront c'est un moyen d'expérimentation ou une recherche. Ils auront raison, mais l'art est avant tout l'expression de fantasmes au sens premier du terme. C'est une vue de l'esprit, une construction suggestive et son interprétation l'est tout autant.

(attention jeune public, il y a des nus et du sexe, mais pas que, loin de là, on n'est pas là pour se rincer l’œil)

Waterhouse Hylas and the Nymphs Manchester Art Gallery 1896.15

Outre les œuvres religieuses inspirant les fidèles et les œuvres glorifiant les faits d'armes, nombre de créations sont teintées d'un érotisme plus ou moins prégnant.

Aphrodite Braschi, du type de l'Aphrodite de Cnide — l'un des plus sûrs attribués à Praxitèle, Glyptothèque de Munich (Inv. 258)

En histoire de l'art classique occidental, tout débute avec le sculpteur Praxitèle qui, le premier, a dénudé la déesse de l'amour et de la beauté : Aphrodite. Le succès est immédiat et il fait rapidement des émules. La sensualité de la divine incarnation touche peu à peu l'ensemble de la mythologie comme autant de prétextes à la célébration des corps féminins habituellement cachés sous de lourds drapés dans les sociétés grecque et romaine.

Dès lors, la représentation d'une déesse est souvent le prétexte tout trouvé pour sculpter un corps de femme dénudée. A noter que certaines déesses, comme Athéna ou Junon-Héra, échappent aux représentations déshabillées.

Cléobis et Biton, musée archéologique de Delphes

À contrario, le corps des hommes était déjà célébré dès la période dite archaïque avec les kouros. Les athlètes sont représentés dans une nudité héroïque, sans aucune forme d'érotisme. Ce n'est qu'à la période classique que le corps des hommes trouve également une certaine lascivité, en particulier pour le dieu de la beauté, Apollon. Parallèlement, de la peinture érotique a été retrouvée dans les vestiges de la ville romaine de Pompéi. Particulièrement explicite, l'on y voit des hommes et des femmes du commun s'adonner aux plaisirs de la chair à deux, voire à plusieurs. D'autres, représentant des scènes encore plus osées, ont longtemps été dissimulées aux yeux du public dans des collections privées. Et je ne parle pas des nombreux vases grecs antiques où les personnages sont représentés en plein ébat. 

Fresque érotique du Lupanar, Pompei

Dans le Moyen Âge chrétien, d'un point de vue religieux, il n'y a bien qu'Adam et Ève qui sont représentés nus avec une feuille pudiquement placée. Le personnage de Marie-Madeleine est particulier à cet égard. Ancienne fille de mauvaise vie, l'accent est régulièrement mis sur sa longue et abondante chevelure dénouée. Cette toison symbolique, comme le disait Daniel Aras dans sont ouvrage On n'y voit rien (que je recommande chaudement pour son écriture savoureuse et érudite) est mise en exergue pour faire oublier « la petite et odorante [toison] ». On en trouve un parfait exemple dans la sculpture souabe avec la célèbre Marie Madeleine du musée du Louvre où la nudité de la femme devenue ermite est cachée par ses longs cheveux.  Daniel Aras rappelle à ce niveau la confusion entre Marie Madeleine et Marie l’égyptienne. Pour autant, il ne faut pas croire que la nudité est bannie de l'art du moyen âge. Certaines enluminures présentent des scènes de bains. Hautement licencieuses, ces œuvres représentant des hommes et des femmes nus dans ou allant dans des bains mixtes sont en fait des scènes de prostitution. Mais là, l'érotisme semble absent, pas de gestes tendres, pas de poses lascives ou suggestives. Les corps sont désincarnés, c'est l'idée morale qui prime.

Madeleine Pénitente (Louvre, RF 1338)

À la Renaissance, avec le retour à l'Antique, les sujets mythologiques réapparaissent également. Ils resteront pendant plusieurs siècles un motif récurant de la peinture et de la sculpture occidentale. L'on se souvient ainsi de certains coffres de mariage florentin (cassone) où les jeunes femmes alanguies représentant Aphrodite étaient censées inspirer les jeunes époux lors de leur nuit de noce. Rubens, Rembrandt, Velázquez et tant d'autres sont connus pour leurs nus féminins caractérisés et suaves. Malgré l'identification bien réelle de certains modèles prêtant leurs traits aux déesses, il faut attendre le XVIIIe siècle pour que le corps de vraies femmes soit mis en valeur. Avec la peinture galante, le corps des femmes est bien LE sujet de l'œuvre. Plus besoin de prétexte pour s'adonner à la volupté. Qui n'a jamais vu un tableau de Fragonard où une jeune fille dévoile un derrière polisson ou un audacieux téton ? Dès cette époque, et de manière plus ou moins explicite, l'érotisme devient le sujet de l’œuvre. Il est une fin et non un moyen.

Velázquez, Vénus à son miroir (vers 1650, National Gallery, Londres)

Dès lors, le sens du tableau change et le véritable objet du désir se fait jour. Fragonard est un précurseur dans le genre galant. Que les faits ne se soient pas encore produits comme dans le Verrou ou dans des œuvres plus explicites comme la Chemise enlevée ou le Feu aux poudres, le cadre est intime et le spectateur est placé dans une position de voyeur. Tout dans ces tableaux est évocateur de désir et de pulsions charnelles. Ces peintures, destinées à une clientèle libertine pour leur appartement très privé, a connu un grand succès et le peintre de nombreux suiveurs. De son côté, Watteau propose un érotisme léger mais très sensuel, visible dans le soin apporté aux silhouettes et plus particulièrement dans l’expression des nuques féminines. Il est à noter que le consentement féminin est mis à mal dans de nombreux tableaux dès cette époque, et cela ne va pas aller en s'améliorant au siècle suivant. 

Le Bernin, Chapelle Cornaro et de la Transverbération de sainte Thérèse, Rome

Parallèlement, dans l'art religieux, certaines œuvres, comme l'Extase de sainte Thérèse de Le Bernin, ont suscité quelques interrogations (voir Lacan) tant le visage de la sainte est expressif. Cette interprétation est aujourd'hui remise en cause par la contextualisation de la création de l'oeuvre. Les représentations de saint Sébastien, lui aussi en extase divine et juste couvert d'un périzonium, dans un déhanché lascif, sont aussi porteuses d'une certaine sensualité.

Soyons bien clairs, l'érotisme ne tient pas seulement à la représentation du corps nu, mais bien à la situation et aux indices savamment représentés et au contexte, sacré ou profane.

Jean-Auguste-Dominique INGRES (Montauban, 1780 - Paris, 1867) Le Bain turc 1852-1859, modifié en 1862

Au XIXe siècle, cet érotisme artistique touche un public plus large. Avec le succès du Salon annuel et la création des musées, le grand public a accès à l’Art autre que religieux. Il peut admirer les nymphes s’ébattre dans les tableaux mythologiques, les héros de l’Antiquité dénudés, glorifiés dans des peintures de grands formats. Avec les voyages en Orient, les européens découvrent de nouveaux horizons. Les scènes de harem et les odalisques se multiplient. La sensualité qui émane de ces représentations de femmes dénudées alanguies fascine et rencontre un vif succès. Les scènes de baigneuses surprises à leur toilette reçoivent l'approbation du public mais suscitent parfois la controverse, voire le scandale quand la chair est trop vraisemblable, et les accusations de pornographie fusent. Le meilleur exemple est Courbet et son Origine du monde, aujourd'hui encore censuré sur les réseaux sociaux.

L'Origine du monde-courbet-orsay

Parallèlement, vient l’Impressionnisme avec ses représentations de la vie quotidienne, ses paysages de plein air et ses représentations de nus. Ainsi, Manet et son Olympia, une femme nue que chacun reconnait alors comme une courtisane. Mais, loin des clichés, elle est fière et semble aussi bien défier le spectateur que l’inviter à l’admirer. L’on est dans l'érotisme.  Mais c’est l’énigmatique jeune femme nue du Déjeuner sur l’herbe, du même Manet, qui a défrayé la chronique. Que fait cette femme du commun, nue au premier plan alors que les deux hommes sont habillés ? La femme à l’arrière-plan, en sous-vêtements, se lave dans la rivière ; pourquoi ? Cet érotisme discret a soulevé beaucoup de questions lors de la présentation du tableau.

Les Demoiselles d'Avignon, Picasso

Au début du XXe siècle, les nombreux mouvements artistiques remettent en cause la représentation classique du corps. Pour les cubistes, l’enjeu est de présenter les différents plans du sujet sur la même surface. Ainsi, la représentation des corps, et plus encore des nus, est remise en question. Avec ses Demoiselles d’Avignon, Picasso représente un panel de jeunes femmes aux mœurs légères dont les corps sont réduits à leur expression la plus simple. Si le sujet est érotique, la représentation ne l’est plus du tout. L’ouverture au monde et à ses cultures apporte de nouvelles perspectives aux artistes. Picasso se passionne pour les arts dits « premiers », tout comme les sculptures préhistoriques des Cyclades inspireront ses contemporains. Le foisonnement artistique du XXe siècle est tel que, de l’abstraction à l’hyper-réalisme, les artistes ont pu explorer de nombreux champs de création et des sujets classiques ou novateurs.

Avec la libération sexuelle et la mondialisation, le corps n’a jamais été autant au centre des représentations artistiques mais sans pour autant qu’il ait une portée sensuelle ou érotique, et la nudité, en Occident tout du moins, a perdu une part de son côté sulfureux ou émoustillant, même si un certain puritanisme se profile de nouveau.

Charles Gleyre (1808-1874) Les brigands romains 1831 Huile sur toile H. 100 ; L. 126 cm Paris, musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

D’un point de vue moderne, certaines œuvres peuvent surprendre, voire choquer. La femme est souvent vue soit comme objet de désir sans réel consentement, soit comme femme fatale. Pour ce qui est du consentement des deux partenaires à l’acte charnel qui est un débat très actuel, il n’en était absolument pas question dans les époques précitées. Jusqu’au XVIIIe siècle, le viol n’était que très rarement reconnu et encore moins puni. La honte reposait sur la victime. Au XIXe siècle, le viol devient un délit mais reste tout aussi tabou. Ainsi, de nombreuses œuvres, mythologiques ou non représentent de fait des scènes ambiguës voire clairement violentes à l’égard des femmes (toutes les œuvres commençant par "L'enlèvement de XXX" ou encore "Le désir" rarement partagé). Il n’est pas besoin de décrocher ces œuvres des cimaises des musées, sauf si elles provoquent clairement un malaise compréhensible (cf Les Brigands romains), mais bien d’expliquer et de contextualiser leur propos pour ne pas nier la réalité historique de la période de création de l'oeuvre, d'où l'importance des cartels et des médiateurs !

Note de l'autrice : Je suis bien consciente que ce texte ne fait qu'effleurer la surface du sujet et qu'il y aurait encore beaucoup à dire. Si vous faite/avez fait un master ou une thèse sur le sujet n'hésitez pas à m'envoyer un lien que je mettrai avec plaisir dans l'article. 

Si vous avez des suggestions ou des modifications à me notifier, n'hésitez pas. smiley

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